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Le chapitrage dans la bande dessinée franco-belge
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l'invention de la "La Littérature en estampe"
Rodophe Töpffer
L'on peut écrire des histoires avec des chapitres, des lignes, des mots: c'est de la littérature proprement dite. L'on peut écrire des histoires avec des successions de scènes représentées graphiquement c'est de la littérature en estampe.
Le chapitrage n'est pas une segmentation qui apparaît d'emblée dans l'histoire de la bande dessinée. D'ailleurs, pour Töpffer, premier théoricien du médium, l'usage du chapitre et l'un des traits qui distingue la production littéraire de cette nouvelle forme de littérature qui mêle texte et images autographiés.
Voir la planche 27 de l'Histoire de Monsieur Jabot, 1833
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Exemple d'Hassan le voleur de Bagdad
Les périodiques de bande dessinée dans la première moitié du XXe siècle
Dès le début du XXe siècle, la bande dessinée se diffuse presque exclusivement dans la presse périodique, plus particulièrement dans des revues hebdomadaires.
Le rythme de production est ainsi très soutenu et entraîne la réalisation d'épisodes courts (une à trois planches maximum).
Même lors de la réunion des épisodes en album, ces récits courts ne nécessitaient pas de découpage de la matière narrative en chapitres. Les albums, très standardisés, n'excédaient généralement pas les 48 ou les 64 pages.
Jacques Laudy, "Hassan le voleur de Bagdad", Journal de Tintin, 03.06.1848
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Premier numéro de la revue (A Suivre)
février 1978
A SUIVRE présentera chaque mois les nouveaux chapitres de "grands récits" sans autre limite de longueur que celle que voudront leur donner leur auteur. Avec toute sa densité romanesque, À SUIVRE sera l'irruption sauvage de la bande dessinée dans la littérature.
Voir Jean-Paul Mougin, Edito (A Suivre) , n°1, 1978
A partir des années 1960, la bande dessinée franco-belge est à la recherche d'une nouvelle légitimité culturelle. Plusieurs magazines (comme Pilote, L'Echo des Savanes ou Métal Hurlant) voient ainsi le jour et marquent le passage à "l'âge adulte" du médium. Créé en 1978, le magazine (A Suivre) accompagne ce mouvement.
En passant d'un rythme de parution hebdomadaire à une périodicité mensuelle, (A Suivre) rallonge le temps de production accordé aux auteurs qui peuvent ainsi réaliser des livraisons plus longues (une dizaine de pages).
Le magazine effectue également un rapprochement volontaire entre la bande dessinée et la littérature. De ce fait, les épisodes publiés mensuellement sont nommés "chapitres". Cette conception d'une bande dessinée chapitrée imitant le modèle littéraire diverge du modèle Töpfferien, et contribue à la légitimation du médium. Il n'est plus question de souligner l'originalité, mais plutôt la ressemblance entre ces deux médias.
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Publication en album d'Ici même
Collection "roman (A Suivre)"
Les séquences prépubliées n'y sont, en effet, plus envisagées comme des unités systématiquement formatées mais comme des chapitres de longueurs variables.
Jacques Dürrenmatt, Bande dessinée et littérature, Paris: Classique Garnier, 2013, pp. 108-19
Forest et Tardi, Ici même, Casterman, "roman (A Suivre)",
1979
Le 1er chapitre d'Ici même dans l'album et dans (A Suivre)
En débordant les formats standardisés, ces premiers "romans graphiques" français peuvent se diviser en chapitres afin de ménager des pauses pour le lecteur.
Dans la publication en album d'Ici Même, première oeuvre publiée dans la collection "roman (A Suivre)", la discontinuité de la publication en épisodes est reproduite avec l'apparition du blanc interchapitiral, caractéristique du dispositif romanesque.
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Les Murailles de Samaris
(A Suivre) n° 53 (juin 1982) - (A Suivre) n°56 (septembre 1982)
En dépit de la "liberté" affichée par la revue, les auteurs doivent se plier aux modèles imposés par publication périodique. En parlant de sa première expérience avec (A Suivre), Benoît Peeters concède en effet: "le magazine avait ses contraintes, qui n'étaient pas les nôtres".
Dans ce type de narration discontinue, les auteurs doivent assimiler ces contraintes éditoriales et tenir le rythme soutenu d'une diffusion mensuelle, afin de livrer chaque mois un nouveau chapitre de leur "récit suspendu".
Schuiten et Peeters, Les murailles de Samaris, chapitre 1, (A Suivre) n° 53, juin 1982
Réf.
Peeters, Obscures chapitres, 2017. Conférence donnée lors du colloque Les avatars du chapitre en bande dessinée, à paraître dans Les Cahiers de narratologie
Revaz, "L'épisode hebdomadaire des histoires "à suivre": une forme de chapitre minimal?", Pratiques et poétiques du chapitre du XIX au XXI siècle, 2017, Rennes: PUR, p. 136.
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Publication en album de Les Murailles de Samaris
Collection "un auteur (A Suivre)"
Lors de la parution dans le mensuel, Schuiten et Peeters mobilisent la technique du cliffhanger afin d'achever leurs épisodes sur des moments forts. Cependant, peu habitués au dispositif chapitral, les auteurs n'ont pas assez réfléchi aux potentialités narratives et esthétiques de ce découpage et décident d'abandonner le chapitrage pour la parution en album de Les murailles de Samaris. Par conséquent, certains effets, comme le cliffhanger, disparaissent .
Schuiten et Peeters, Les murailles de Samaris, chapitre 3 et 4, (A Suivre) n° 55 et 56, août - septembre 1982 et Les murailles de Samaris, album, 1983
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La Tour
(A Suivre) n°96 (janvier 1986) - (A Suivre) n°102 (juillet 1986)
Pour leur 3ème récit publié dans (A Suivre), Schuiten et Peeters réfléchissent davantage au dispositif capitulaire en envisageant les chapitres "comme de vraies unités narratives" autonomes ( Réf.) . Ils se sont ainsi approprié les contraintes du magazine pour la réalisation de leur récit.
Schuiten et Peeters, Les murailles de Samaris, chapitre 1, (A Suivre) n° 53, juin 1982
Schuiten et Peeters, La Tour, Chapitre 1, (À Suivre) n°96, Janvier 1986
Il est clair qu'histoire après histoire, le découpage en chapitres a continué à jouer un rôle majeur. Cherchant de nouveaux dispositifs, nous les avons conçus à chaque fois comme des vraies unités narratives, invitant bien sûr à lire la suite, mais fonctionnant aussi comme des objets en soi. [...] Il s'agissait donc que chaque chapitre ait sa propre force, sa propre séduction.
Peeters, Obscures chapitres, 2017. Conférence donnée lors du colloque Les avatars du chapitre en bande dessinée.
Peeters, Obscures chapitres, 2017. Conférence donnée lors du colloque Les avatars du chapitre en bande dessinée.
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Publication en album de La Tour
Collection "roman (A Suivre)"
Pour la publication en album, les pages-titres des chapitres sont retravaillées et jouent un rôle primordial dans la narration en renforçant l'unité de chaque chapitre.
Contrairement à l'album d'Ici même, le dispositif est ici pleinement assimilé et exploite les potentialités du médium bédéique en alliant le texte et l'image.
Les exigences de la revue (A Suivre) ont ainsi fortement conditionné la manière d'envisager la structuration du récit, mais les auteurs parviennent à transformer la contrainte en occasion d'expérimenter de nouvelles formes narratives.
Schuiten et Peeters, La Tour, album, 1987
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Dernier numéro d'(A Suivre)
décembre 1997
En décembre 1997, près de 20 ans après son premier numéro, (A Suivre) tire sa révérence. Le magazine aura activement participé au renouvellement expressif et formel du médium. En prônant un lien étroit entre bande dessinée et littérature, et en assimilant l'épisode à une forme de chapitrage, le magazine a fourni les bases d'un genre nouveau, une sorte de "roman graphique" à la française qui n'a rien à envier à son cousin anglo-saxon.
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Et maintenant?
La bande dessinée au XXIème siècle
Le chapitre, unité fondamentalement romanesque, n'entre pas sans incidence dans la bande dessinée. Qu'un débat important pour le devenir soit partiellement centré sur lui montre l'importance que revêtent les questions d'organisation formelle pour un art qui continue à vivre dans l'angoisse de rester assimilé à l'album pour enfant et de se voir refuser une place éminente dans le champ artistique. c'est signe que les choses avancent de voir les auteurs actuels s'en remettre à d'autres modes d'organisation et ne plus éprouver le besoin d'user d'indices romanesques. Le "roman graphique" était une étape et la bande dessinée a désormais bien d'autres cartes à jouer.
Jacques Dürrenmatt, Bande dessinée et littérature, Paris, Classique Garnier, 2013, p. 113
Si la bande dessinée chapitrée était assez courante durant la période (A Suivre), cette forme de segmentation tend à disparaître de la production franco-belge contemporaine, ce qui s'explique en partie par la disparition de la plupart des magazines mensuels, mais aussi par l'autonomie esthétique acquise par le média.
