L'interprétation
Interpréter, c’est donner un sens à quelque chose.
Qu'est-ce qu'interpréter ?
Le monde ne contient pas en lui-même de significations ; c’est l’homme qui interprète les phénomènes, et particulièrement ceux qui sont ambigus, ambivalents, équivoques, pour leur conférer un sens.
Comme l’homme est un animal symbolique (puisqu’il ne cesse pas, dans la vie quotidienne, de s’orienter et de jouer avec des signes), l’interprétation est omniprésente dans son existence.
L'interprétation scientifique
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Pour comprendre le monde, on ne peut pas se contenter d’observer objectivement les faits : il faut aussi donner un sens aux données recueillies. Accumuler des faits ne fait en rien avancer la connaissance ; ce n’est que lorsqu’on élabore une interprétation de ces faits que ceux-ci peuvent aider à la compréhension de quelque chose. Le travail proprement scientifique ne consiste pas à collectionner des faits mais à les interpréter :
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"Une expérience de physique est l’observation précise d’un groupe de phénomènes accompagnée de l’INTERPRETATION de ces phénomènes ; cette interprétation substitue aux données concrètes réellement recueillies par l’observation des représentations abstraites et symboliques qui leur correspondent en vertu des théories admises par l’observateur." – Duhem, La théorie physique
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Il n'y a pas de faits, il n'y a que des interprétations
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L’interprétation est un processus si important que certains philosophes proches du scepticisme vont jusqu’à dire qu’il n’y a pas de faits, mais seulement des interprétations :
Contre le positivisme, qui en reste au phénomène, « il n’y a que des faits », j’objecterais : non, justement, il n’y a pas de faits, seulement des interprétations. Nous ne pouvons constater aucun factum « en soi » : peut-être est-ce un non-sens de vouloir ce genre de chose. Dans la mesure exacte où le mot « connaissance » a un sens, le monde est connaissable : mais il est interprétable : autrement dit, il n’a pas un sens par-derrière soi, mais n’innombrables sens. « Perspectivisme ». Ce sont nos besoins qui interprètent le monde : nos pulsions et leur pour et leur contre. Chaque pulsion est une sorte de recherche de domination, chacune a sa perspective, qu’elle voudrait imposer comme norme à toutes les autres pulsions. —Nietzsche, Fragments posthumes
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Le perspectivisme sceptique de Nietzsche, qui conduit renoncer à l’idée d’une vérité objective et universelle, est contredit par des faits évidents. On ne peut pas attribuer la même valeur à l’interprétation scientifique, qui permet concrètement de comprendre le monde et de le transformer, de l’interprétation superstitieuse qui enferme l’individu dans des croyances erronées sur la réalité.
Contre le scepticisme : l'objectivité de l'interprétation
Entre le primitif qui interprète l’arrivée de la pluie comme la récompense de ses bonnes prières et l’homme moderne qui interprète le même phénomène en y voyant un simple phénomène météorologique, il n’y a pas qu’une différence de perspective : l’une est fausse et l’autre vraie, et cela change tout.
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Une erreur d’interprétation d’un signe amoureux peut aussi douloureusement nous montrer que notre interprétation subjective peut s’avérer désastreuse lorsqu’elle conduit à des suppositions erronées sur les sentiments d’autrui.
Contre le scepticisme : l'objectivité de l'interprétation
De plus, malgré ce que disent les sceptiques, de nombreux faits ne sont pas équivoques et ne peuvent être interprétés que d’une seule manière. Les panneaux de signalisation de code de la route ont un sens univoque car leur signification correspond à une convention adoptée socialement : il ne vaut mieux pas qu’un automobiliste commence à interpréter subjectivement, selon sa propre perspective, les panneaux qu’il voit sur la route… Il faut qu’il interprète les panneaux selon un code qui est admis conventionnellement comme vrai par la société.
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La folie interprétative
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Comme l’homme a besoin de sens, il tend spontanément à inventer un sens là où il n’y en a pas. Même chez des individus animés par une démarche scientifique, comme Freud, on peut diagnostiquer cette sorte de frénésie interprétative qui nuit à la recherche de la vérité. A force de vouloir absolument trouver un sens, on finit par proposer des interprétations délirantes et fallacieuses : on peut prendre l’exemple de Robert Faurisson, qui, avant d’être le plus célèbre des négationnistes, était un professeur de lettres qui proposait des interprétations farfelues de certains textes poétiques équivoques : d’après lui, dans le poème de Rimbaud « Voyelles » le A serait un triangle pubien, le E une paire de seins, le I une bouche, le U des cheveux et le O un œil…
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Ne pas confondre interprétation et réaction
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A l’inverse des phénoménologues comme Karl Jaspers qui soutiennent que « tout être est pour nous être-interprété », c’est-à-dire que tout notre rapport au monde et à ses objets correspond à un acte interprétatif, Wittgenstein rappelle que dans la vie quotidienne, nous comprenons souvent des signes spontanément et instinctivement, sans processus interprétatif. Nous interprétons des signes équivoques (un poème énigmatique, un sourire de la personne qu’on aime etc.) mais cela ne doit pas cacher le fait que le plus souvent nous réagissons automatiquement aux informations que nous recevons plus que nous les interprétons rationnellement.
Naturellement, il arrive que j'interprète des signes, que je donne une interprétation à des signes : mais pas toutes les fois que je comprends un signe. (Quand on me demande « quelle heure est-il ? », il ne se déroule en moi aucun processus d'interprétation, je réagis simplement à ce que je vois et entends. Si quelqu'un brandit un couteau contre moi je ne dis pas : « j'interprète ce signe comme une menace »). — Wittgenstein, Grammaire Philosophique
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Exemple du canard-lapin
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Wittgenstein, pour montrer le fait que souvent le sens s’impose à nous, sans que nous l’interprétions délibérément, prend l’exemple de l’illusion du canard-lapin. Dans cet exemple, même quand nous essayons de choisir de ne voir que l’aspect canard du dessin, l’aspect lapin peut prendre le dessus et vice-versa.
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Les œuvres d’art n’ont aucune signification en elles-mêmes : pour conférer leur sens, elles doivent être interprétées. Quelqu’un qui serait complètement étranger à notre culture ne comprendrait pas nos cathédrales, nos tableaux, nos pièces de théâtre, nos musiques. Mais même lorsque nous avons assez de connaissance pour comprendre une œuvre, il faut encore interpréter l’œuvre pour la faire vivre : c’est particulièrement vrai pour toutes les œuvres qui exigent une activité spécifique pour exister concrètement : la pièce de théâtre et la partition sont faites pour être jouées.
Pluralité des interprétations artistiques
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Or, à partir d’un même contenu, des comédiens et des musiciens sont amenés à proposer une interprétation différente de l’œuvre, à un tel point que l’on peut détester un morceau en l’entendant être joué d’une telle manière et l’adorer au contraire lorsqu’il est joué d’une manière qui nous paraît plus satisfaisante. C’est que dans l’œuvre d’art, la subjectivité a beaucoup plus d’importance que dans les sciences : il n’y a pas plusieurs manières correctes d’interpréter la formule de la gravitation universelle de Newton, tout le monde est obligé de s’accorder sur la compréhension de la formule ; en revanche, on peut tout à fait reconnaître qu’une interprétation est plus ou moins bonne en fonction de notre sensibilité subjective. . Ainsi, certains ne supportent pas la manière dont Glenn Gould joue des sonates de Beethoven (cf. la fameuse Sonate au clair de lune) et pensent qu’une interprétation plus conventionnelle telle que celle d’Horowitz est la seule qui convienne à leur goût.
Exemple d'interprétation artistique