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Outlander (2014), Jessica Jones (2015), The Handmaid’s Tale (2017), depuis quelques années les séries développent leurs intrigues autour de protagonistes féminins définis par une personnalité forte et complexe. L’avènement de ces héroïnes (modernes) constitue un champ d’exploration pour un mode de représentation plus égalitaire des genres et des sexualités à l’écran. Au male gaze, point de vue dominant, perpétué dans l’inconscient collectif par le biais des productions médiatiques et culturelles, commence à s’opposer un regard féminin, subversif, engagé, de plus en plus revendiqué et assumé : le female gaze. Si certaines séries se contentent de donner aux femmes un pouvoir symbolique en inversant les rôles de domination, d’autres travaillent à remettre en question et à déconstruire les codes du patriarcat, pour laisser place à un regard alternatif, féministe, encore expérimental – car le terme n’a jusqu’à ce jour pas de définition théorique claire. Des critères qui caractérisent la série indépendante I Love Dick (2016), qu’il s’agisse de son esthétique formelle, de son discours, ou même de son mode de production.
LOVE DICK
I
Un nouveau regard pour renverser les di(c)ktats du patriarcat
Cast
(Protagonistes)
Kathryn Hahn - Chris
Griffin Dunne - Sylvere
Kevin Bacon - Dick
(Personnages récurrents)
Roberta Colindrez - Devon
India Menuez - Toby
Lily Mojekwu - Paula
Résumé
Librement adapté du roman féministe homonyme de Chris Kraus, I Love Dick est l’histoire de Chris, réalisatrice indépendante qui vient de soumettre son film au festival de Venise, accompagne son mari Sylvere à Marfa, où il poursuivra ses recherches sur l’holocauste sous la direction de Dick, artiste charismatique et figure mythique de la ville. Ce dernier se trouvera malgré lui au centre du désir du couple.
Fiche technique
Créatrices : Jill Soloway, Sarah Gubbins
Scénaristes : Sarah Gubbins, Chris Kraus,
Jill Soloway, Heidi Schreck, Annie Baker, Carla Ching, Esti Giordani, Diona Reasonover, Dara Resnik
Réalisateurs : Andrea Arnold, Jill Soloway, Jim Frohna, Kimberly Peirce
Photographie : Jim Frohna, Keith Dunkerley
Male gaze
Female gaze
Le Female Gaze
Le female gaze s’inscrit en réaction au male gaze, non pas comme une simple inversion des rapports de pouvoir qui se contenterait de réifier les hommes pour répondre au désir féminin, ou comme une masculinisation des héroïnes, mais comme une volonté esthétique et économique de rééquilibrer et de questionner un mode de représentation qui privilégie la perspective des hommes blancs cisgenres. La showrunneuse Jill Soloway (Transparent, I Love Dick) rappelle à son public qu’un artiste véhicule un discours politique intrinsèque à son identité, et, de ce fait, incite les femmes à propager leur point de vue en filmant. Elle propose également de subvertir la logique du male gaze. Ainsi, la personne derrière la caméra aura par exemple tendance à filmer de manière subjective, utilisant son propre corps pour véhiculer les émotions du personnage, ce dernier aura alors pour fonction de thématiser le processus de réification - « this is how it feels to be seen » - pour inciter le spectateur à prendre conscience de sa position et de son rôle dans le processus de réification, de manière à ce que le personnage puisse devenir non plus objet du regard, mais un sujet qui ressent.
Lien vers la master class de Soloway au TIFF en 2016
La forme sérielle est un terrain d’expérimentation idéal pour l’application du female gaze, parce qu’elle permet une pluralité des formes et des points de vues et qu’elle offre la possibilité de développer en profondeur la subjectivité de ses personnages.
Si des séries telles que Jessica Jones ou The Handmaid’s Tale, approchent avec ingéniosité des thèmes tels que le traumatisme du viol et celui de la réification du corps féminin, c’est parce que leur esthétique s’appuie sur la subjectivité des héroïnes, suivant de près le parcours complexe vers une affirmation de soi qui ne dépend que d’elles-mêmes. A l’inverse, l’audience et la critique reprochent aux créateurs d’Outlander les nombreuses scènes d’agressions sexuelles gratuites dont se trouve être régulièrement victime l’héroïne. L’intrigue se contente de revenir à l’histoire d’amour qui unit Claire à son amant Jamie, plus jeune qu’elle et encore puceau. Malgré la dimension peu conventionnelle de son couple vedette, Outlander est l’exemple d’une série qui tout en présentant un personnage féminin central fort, ne parvient toutefois pas à dépasser le stade de l’inversion des genres: l’homme est infantilisé et la femme, quoique épanouie professionnellement, n’existe pratiquement qu’à travers le prisme de ses relations amoureuses.
Le Male Gaze
Laura Mulvey propose la notion de male gaze en 1975 dans son article « Visual Pleasure and Narrative Cinema », lequel marquera non seulement les théories féministes, mais aussi les études cinématographiques. Mulvey analyse la représentation de la figure féminine dans le cinéma classique hollywoodien qui serait régi par l’inconscient patriarcal. Le male gaze définit le regard actif émanant tant des spectateurs que des personnages masculins et qui prend pour cible les femmes réduites au statut d’objet érotisé, comme l’illustre l’exemple classique du travelling sur un corps féminin révélé progressivement par le mouvement de caméra. Tous spectateurs sont forcés d’adopter un point de vue masculin, dominant et, surtout, hétérosexuel, car les figures masculines, comme le souligne Mulvey, ne pourraient pas supporter le fardeau de l’objectification sexuelle.
C’est à partir de ce constat que Steve Neale relance en 1983 la réflexion dans l’article « Masculinity as Spectacle ». Neale explique qu’en réalité la question de l’identification spectatorielle est bien plus complexe : les spectateurs ne sont pas forcés de s’identifier aux personnages de leur propre genre, mais l’identification est en elle-même multiple et fluide selon ses situations, ils/elles ne se reconnaissant pas simplement dans le héros ou l’héroïne. Cela entraînerait chez le spectateur une identification narcissique, mais aussi la possibilité que le héros masculin soit érotisé et donc devienne l’objet d’un regard homosexuel. C’est pourquoi ce potentiel d’érotisation du héros est réprimé et sublimé à travers un regard qui spectacularise les corps masculins montrés dans des scènes de combats et de fusillades.